La confidentialité des prix unitaires : éclairages récents du Conseil d’Etat
1.
A la suite de l’attribution d’un marché public de travaux, un soumissionnaire évincé a saisi le Conseil d’Etat, faisant valoir, entre autres, que les prix proposés par l’attributaire seraient anormaux.
Dans le cadre de son recours, le soumissionnaire concerné a sollicité la levée de la confidentialité des prix unitaires proposés par l’attributaire pour 67 postes au sujet desquels le pouvoir adjudicateur avait relevé d’importants écarts de prix entre les soumissionnaires. Selon ce soumissionnaire, le pouvoir adjudicateur n’expliquerait pas en quoi ces prix seraient des données protégées par le secret d’affaires. Il estime, du reste, que la levée de la confidentialité serait nécessaire puisque le recours dénonce notamment l’anormalité des prix de l’attributaire du marché.
2.
Aux termes d’un arrêt n° 263.043 du 23 avril 2025[1], le Conseil d’Etat a tout d’abord souligné que ce n’est que lorsqu’un secret d’affaires est en jeu que l’instance de recours est tenue de procéder à la mise en balance du droit au respect du secret d’affaires avec les exigences du droit au procès équitable conformément à l’article 26 de la loi du 17 juin 2013.
Dans le cas présent, le Conseil d’Etat a rappelé que les prix unitaires d’un concurrent constituent, en principe, des données couvertes par le secret d’affaires[2] et doivent être protégés par la confidentialité. Ce secret d’affaires doit toutefois être mis en balance avec les exigences liées au respect du procès équitable.
Dans le cadre de cette mise en balance, le Conseil d’Etat a estimé que la divulgation des prix unitaires de l’attributaire du marché entrainerait une atteinte manifeste à son droit au respect du secret d’affaires, les prix pratiqués dans de tels marchés étant déterminants sur le plan concurrentiel. Il a ainsi considéré que « ce constat justifie que ces données restent confidentielles ». Par ailleurs, le Conseil d’Etat a jugé que l’atteinte éventuelle aux droits de la défense était suffisamment compensée par le contrôle des pièces confidentielles effectué par ses soins, ce qui l’a conduit à conclure que la protection du secret d’affaires l’emporte sur les principes du contradictoire et du procès équitable.
3.
Cet arrêt du Conseil d’Etat apporte donc un éclairage utile sur la portée de la confidentialité applicable aux prix unitaires contenus dans l’offre d’un soumissionnaire. Il ressort en effet de la décision commentée que, dès lors que ces prix constituent un élément déterminant d’un point de vue concurrentiel — ce qui est généralement le cas — leur protection au titre du secret d’affaires suffit à justifier le maintien de leur confidentialité.
Bien que l’instance de recours soit tenue, en vertu de l’article 26 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, d’opérer une mise en balance entre le droit au respect du secret d’affaires et les exigences du droit à un procès équitable, force est de constater qu’en ce qui concerne les prix unitaires, le Conseil d’Etat semble rapidement trancher en faveur du respect du secret d’affaires.
Dès lors il paraît raisonnable de conclure, à la lumière des enseignements de cette décision, que les prix unitaires figurant dans une offre demeurent — sauf circonstance exceptionnelle — couverts par la confidentialité, y compris lorsque le recours porte sur l’éventuelle anormalité des prix de l’attributaire du marché.
[1] C.E., arrêt n° 263.043 du 23 avril 2025, SA ÉLECTROTECHNIQUE ET MÉCANIQUE PUTMAN FRÈRES.
[2] Dans cette affaire, la partie requérante soutenait qu’il ne pouvait être question de secret d’affaires, faisant valoir notamment que les prix remis par les soumissionnaires étaient désormais obsolètes et ne présentaient plus aucun intérêt commercial. Le Conseil d’Etat a toutefois considéré que cette affirmation n’était pas démontrée par la requérante.