L’importance de la motivation formelle aux stades de la vérification des prix et de l’évaluation des critères d’attribution
Par un arrêt n° 260.462 du 26 juillet 2024[1], le Conseil d’Etat a décidé de suspendre l’exécution de la décision motivée d’attribution d’un marché public de services de recouvrement de créances (secteurs spéciaux) à la suite d’un défaut de motivation formelle aux stades de la vérification des prix et de l’évaluation des critères d’attribution.
Dans le cadre de son recours, la requérante a soulevé deux arguments visant à démontrer l’illégalité de cette décision. Le premier argument porte sur l’absence d’indications, dans la décision et le rapport d’examen des offres auquel elle se réfère, expliquant en quoi les justifications des différents soumissionnaires ont permis à l’adjudicateur de considérer les prix proposés comme normaux (A). Le second argument concerne le fait que le rapport d’examen des offres ne fait pas état d’une évaluation et d’une comparaison effective des quatre offres les mieux classées (B).
A. Motivation relative à la vérification des prix
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat rappelle que « l’obligation de motivation formelle, à laquelle l’autorité adjudicatrice est tenue doit notamment permettre aux destinataires d’une décision de comprendre les raisons qui ont amené l’autorité à l’adopter, vérifier que celle-ci s’est livrée à un examen complet et détaillé des circonstances de l’affaire et apprécier l’opportunité et, le cas échéant, la manière d’exercer les recours dont ils peuvent disposer »[2].
Plus précisément, en matière de vérification des prix, le Conseil d’Etat indique que « lorsque l’adjudicateur juge nécessaire d’inviter un soumissionnaire à justifier certains prix[3] […], la décision de considérer – ou de ne pas considérer – comme anormaux les prix de l’offre doit faire l’objet d’une motivation précise, faisant ressortir la réalité, l’exactitude et la pertinence des éléments concrets sur lesquels l’entité adjudicatrice a fondé cette décision »[4].
Le Conseil d’Etat précise également que l’étape liée à la vérification des prix ne peut être, dans son intégralité, omise de la décision d’attribution au motif qu’elle serait confidentielle. En effet, le Conseil d’Etat considère que l’adjudicateur peut adopter, « en raison d’impératifs liés à la confidentialité, une motivation en termes brefs, en demeurant allusive sur certaines raisons l’ayant amenée à reconnaître la pertinence des justifications du prix ». Cela étant, il précise qu’ « une telle motivation ne peut […] être excessivement laconique et doit permettre, d’une part, de vérifier que l’entité adjudicatrice a analysé les justifications invoquées avec soin et, d’autre part, de comprendre les raisons pour lesquelles elle a admis ces justifications »[5].
Il ajoute, enfin, que « le principe de protection des informations confidentielles doit être concilié avec le devoir de motivation formelle qui s’impose à l’entité adjudicatrice et les exigences d’une protection juridictionnelle effective »[6]. Ainsi, il n’est pas suffisant que le rapport d’examen des offres indique vaguement que « les informations données dans ce cadre sont confidentielles »[7].
B. Motivation relative à l’évaluation des critères d’attribution
Dans le cadre du deuxième moyen, le Conseil d’Etat a rappelé, dans un premier temps, que l’évaluation des critères d’attribution confère à l’adjudicateur un large pouvoir d’appréciation, ce qui implique dans son chef une obligation de motivation étendue.
La simple attribution de points ne constitue dès lors pas une motivation suffisante. Des motifs doivent en effet fonder l’attribution de points et « ceux-ci doivent être exprimés sous la forme d’une évaluation descriptive s’appuyant sur des références concrètes au contenu de l’offre »[8].
Le Conseil d’Etat rappelle, ensuite, qu’en présence de notes identiques[9], la motivation doit reprendre les raisons qui ont mené l’adjudicateur à accorder ces notes identiques aux soumissionnaires et qui ne lui ont pas permis de départager les offres[10].
Le Conseil d’Etat souligne, en outre, que l’adjudicateur « doit rechercher les forces et les faiblesses de chacune des offres présentées et les comparer entre elles pour déterminer, sur la base de cette évaluation, l’offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères d’attribution »[11].
C. Conclusion
Cet arrêt rappelle que les adjudicateurs ne doivent pas négliger la motivation formelle lors de la vérification des prix et de l’évaluation des offres, le Conseil d’Etat se montrant en effet strict à cet égard.
Ainsi, pour la vérification des prix, l’adjudicateur ne peut invoquer une simple « confidentialité des prix » pour éluder son obligation de motivation formelle. Bien que la motivation puisse être succincte pour des raisons de confidentialité, elle doit au minimum permettre aux soumissionnaires de vérifier que les justifications des prix ont été examinées attentivement et de comprendre pourquoi elles ont été acceptées ou rejetées.
S’agissant de l’évaluation des critères d’attribution, lorsque les notes attribuées sont (quasi) identiques, l’adjudicateur doit faire preuve d’une rigueur accrue dans sa motivation formelle afin de permettre aux soumissionnaires de comprendre les éléments qui ne lui ont pas permis de les départager concrètement.
Ces points sont souvent à l’origine de recours ; aussi, il est fortement recommandé aux adjudicateurs de s’inspirer des enseignements de la jurisprudence étudiée ici pour rédiger leurs décisions motivées d’attribution.