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A partir de quand un cahier spécial des charges peut-il être attaqué ? Etat récent de la jurisprudence du Conseil d’Etat

Publié le : 13/06/2024 13 juin juin 06 2024

 
  1.  
Après l’examen des documents du marché, il arrive régulièrement que des opérateurs économiques intéressés par un marché public constatent que le cahier spécial des charges comporte des illégalités rendant leur participation au marché impossible.

En pareille hypothèse, les opérateurs économiques ont alors la possibilité, sous certaines conditions, de contester la décision de l’adjudicateur d’adopter le cahier spécial des charges devant le Conseil d’Etat[1] ou le juge judiciaire selon le cas. A cet égard, l’article 23 de la loi du 17 juin 2013 permet d’introduire un recours en annulation dans un délai de 60 jours et/ou un recours en suspension d’extrême urgence dans un délai de 15 jours, à l’encontre de cette décision « à compter de la publication, de la communication ou de la prise de connaissance de l'acte, selon le cas »[2].
 
  1.  
De manière constante, la jurisprudence du Conseil d’Etat considère que le point de départ du délai de recours à l’encontre de la décision d’adoption d’un cahier spécial des charges est sa prise de connaissance effective par l’opérateur économique.[3] Par un arrêt du 7 janvier 2018, le Conseil d’Etat a précisé que le délai ne commence à courir qu’à partir du moment où les opérateurs économiques ont pu, en étant normalement prudents et diligents, en acquérir une connaissance effective[4].
 
  1.  
Récemment, par deux arrêts des 17 et 19 avril 2024[5], le Conseil d’Etat a encore affiné sa jurisprudence sur ce point en considérant que le moment de la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges peut intervenir dès la publication de l’avis de marché.

L’arrêt du 19 avril 2024 précise toutefois que la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges peut être fixée dès la publication de l’avis de marché uniquement si les documents définissant les conditions du marché sont « directement accessibles, sans aucune restriction ».

Sur ce point,  le Conseil d’Etat paraît plus strict qu’auparavant quant à l’interprétation donnée à la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges. En effet, dans le cadre des procédures nécessitant la publication d’un avis de marché – à savoir la majorité des procédures de passation –, le Conseil d’Etat estime qu’un opérateur économique qui agit avec diligence est réputé prendre connaissance d’un avis de marché à la date de sa publication. Les documents du marché étant en principe disponibles dès la publication de cet avis de marché, le point de départ du délai  de recours visant la décision d’approuver le cahier spécial des charges court donc à dater de cette publication, même si l’opérateur économique a, dans les faits, pris connaissance du cahier spécial des charges après cette date.
 
  1.  
Une réflexion subsiste toutefois concernant les marchés publics lancés par procédure négociée sans publication préalable et les marchés publics de faible montant, lesquels n’impliquent pas la publication d’un avis de marché ou, à tout le moins, pas une publication permettant d’accéder directement aux documents du marché. Dans ces deux hypothèses, les opérateurs économiques sont généralement invités à présenter une offre à la suite d’un courrier électronique d’invitation de l’adjudicateur qui reprend les documents du marché ou un lien leur permettant d’accéder à ces documents[6].

Ainsi, dans de tels cas de figure, se pose la question de savoir si la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges intervient lors de l’envoi de l’invitation/du courrier électronique par l’adjudicateur ou plutôt lors de la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges par l’opérateur économique ?

Sur la base de la jurisprudence récente du Conseil d’Etat, la date d’envoi du courrier électronique par l’adjudicateur devrait, nous semble-t-il, être le point de départ du délai de recours à l’encontre de la décision d’adoption du cahier spécial des charges puisque le Conseil d’Etat retient les critères suivants : la disponibilité des documents du marché et l’opérateur économique prudent et diligent. Une fois que le courrier électronique est envoyé par l’adjudicateur, celui-ci est, en principe, réceptionné instantanément ou après quelques minutes par le soumissionnaire qui est alors en mesure de prendre connaissance du cahier spécial des charges.

Dans la mesure où il existe parfois un décalage entre le moment de l’envoi des courriers d’invitation via la plateforme e-Procurement et leur réception, pourrait-on considérer que la prise de connaissance effective du cahier spécial des charges intervient dès l’instant où l’invitation est réceptionnée si, par exemple, cette réception a lieu durant un week-end, un jour férié, etc. ? Rien n’est moins sûr à ce stade et il sera intéressant d’examiner si le Conseil d’Etat appliquera le raisonnement qu’il a tenu dans ses arrêts des 17 et 19 avril 2024 pour les marchés publics de faible montant et ceux passés en procédure négociée sans publication préalable.
 
 
[1] Si l’adjudicateur est une autorité administrative au sens des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.
[2] Article 23, § 1er, alinéas 2 et 3 de la loi du 17 juin 2013, relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, M.B., 21 juin 2013.
[3] C.E.,  arrêt n° 220.488, 29 août 2012, M.C.P., 2012 (sommaire), liv. 4, p. 642 ; C.E. , arrêt n° 228.709, 8 octobre 2014, SPRL TRAVAUX SPÉCIAUX EN HAUTEUR.
[4] C.E., arrêt n° 243.332, 7 janvier 2018, ASSOCIATION D'ASSURANCES MUTUELLES AMMA ASSURANCES.
[5] C.E., arrêt n° 259.526, 17 avril 2024, SA POSTALIA BELGIUM ; C.E., arrêt n° 259.561, 19 avril 2024, SA POSTALIA BELGIUM.
[6] Dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable, l’adjudicateur génère à partir de la plateforme e-Procurement un courrier d’invitation à soumissionner qui est directement envoyé aux soumissionnaires potentiels par voie électronique et ces derniers sont invités à prendre connaissance des documents du marché via un lien repris dans ce courrier.

Auteurs

Mickaël Dheur
Avocat
XIRIUS PUBLIC, Droit administratif, Droit constitutionnel, Droit de la santé, Droit des contrats et marchés publics, Finances publiques
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Laureen Perrot
Avocate
XIRIUS PUBLIC, Droit administratif, Droit constitutionnel, Droit de la santé, Droit des contrats et marchés publics, Finances publiques
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