Le difficile équilibre entre vie privée des donneurs et le droit des enfants à connaître leur identité biologique
Publié le :
13/10/2024
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Ce 26 septembre 2024, la Cour Constitutionnelle a rendu l’arrêt 102/2024 constant l’inconstitutionnalité de certaines dispositions relatives à l’anonymat des donneurs dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA).
La Cour déclare ainsi que l’article 458 du Code pénal et l’article 57 de la loi du 6 juillet 2007 « relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes » violent l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, ces dispositions empêchent de manière absolue l’enfant issu d’un don d’obtenir de la part du centre de fécondation une quelconque information identifiante ou des informations non identifiantes concernant le donneur.
Cet arrêt représente une avancée significative dans la reconnaissance des droits des enfants nés de dons de gamètes anonymes, en affirmant leur droit à connaître leurs origines.
Contexte
L'affaire concerne une jeune fille, née en 1999 à la suite d’un traitement de procréation médicalement assistée (PMA) réalisé avec les spermatozoïdes d’un donneur anonyme.Désormais majeure, cette jeune fille a souhaité obtenir des informations sur l’identité du donneur et sur des caractéristiques le concernant.
Le centre PMA a refusé d’accéder à cette demande. En effet, l’article 458 du Code pénal et l’article 57 de la loi du 6 juillet 2007 empêchaient toute communication d’informations, même non identifiantes, aux enfants issus de dons de gamètes anonymes :
L'article 458 du Code pénal impose une obligation de secret professionnel pour les médecins et autres professionnels, interdisant dès lors la divulgation de secrets concernant les donneurs de gamètes.
L'article 57 de la loi du 6 juillet 2007 garantit quant à lui l’anonymat des donneurs, sauf en cas d’accord entre le donneur et les receveurs pour un don non anonyme.
Face à ce refus, la jeune fille a saisi le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles afin d’obtenir des informations sur son géniteur biologique.
Constatant que les dispositions précitées empêchaient effectivement le centre de PMA de fournir à la jeune fille les informations demandées, le Tribunal de première instance s’est posé la question de leur compatibilité avec la Constitution et le droit de ces enfants à connaître leurs origines.
Il a posé donc posé deux questions préjudicielles à la Cour Constitutionnelle :
« L’article 458 du Code pénal viole-t-il l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition empêche la personne née d’une grossesse résultant d’un traitement de procréation médicalement assistée grâce à un don de gamètes d’obtenir de la part du dispensateur du traitement une quelconque information sur sa filiation biologique du côté du donneur ?
L’article 57 de la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes viole-t-il l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition empêche la personne née d’une grossesse résultant d’un traitement de procréation médicalement assistée grâce à un don de gamètes d’obtenir de la part du dispensateur du traitement des informations sur sa filiation biologique du côté du donneur qui permettent l’identification de ce dernier ? »
Pour comprendre ces questions et la position de la Cour qui y répond, il convient de faire un détour par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à ce type de question.
Position de la Cour européenne des droits de l’Homme
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a, à plusieurs reprises, abordé la question du droit à la connaissance de ses origines dans le cadre du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la CEDH). Ainsi, la jurisprudence de la CEDH reconnaît que le droit à l'identité personnelle, qui inclut la connaissance de ses origines biologiques, constitue un aspect fondamental de la vie privée.
Dans l’arrêt Odièvre c. France (2003), la CEDH avait jugé que l'anonymat des mères accouchant sous X ne violait pas l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme pour autant que des informations non identifiantes ou médicales restent accessibles à l’enfant. Ce précédent soulignait la nécessité d’un équilibre entre les droits de l’enfant à connaître ses origines et ceux des parents biologiques à protéger leur vie privée[1].
L'arrêt Godelli c. Italie (2012) a marqué un tournant en déclarant que l'interdiction absolue d'accès à l'identité de la mère biologique pour les personnes nées sous X constituait une violation de l'article 8. La CEDH a insisté sur le fait que le droit de connaître ses origines ne pouvait être sacrifié au profit d'un anonymat absolu, sans possibilité de lever celui-ci[2].
De manière générale, la CEDH reconnaît que le droit de l'enfant à connaître ses origines doit être pris en compte et que les législations nationales doivent ménager un "juste équilibre" entre les intérêts concurrents.
Dans l’arrêt Odièvre c. France (2003), la CEDH avait jugé que l'anonymat des mères accouchant sous X ne violait pas l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme pour autant que des informations non identifiantes ou médicales restent accessibles à l’enfant. Ce précédent soulignait la nécessité d’un équilibre entre les droits de l’enfant à connaître ses origines et ceux des parents biologiques à protéger leur vie privée[1].
L'arrêt Godelli c. Italie (2012) a marqué un tournant en déclarant que l'interdiction absolue d'accès à l'identité de la mère biologique pour les personnes nées sous X constituait une violation de l'article 8. La CEDH a insisté sur le fait que le droit de connaître ses origines ne pouvait être sacrifié au profit d'un anonymat absolu, sans possibilité de lever celui-ci[2].
De manière générale, la CEDH reconnaît que le droit de l'enfant à connaître ses origines doit être pris en compte et que les législations nationales doivent ménager un "juste équilibre" entre les intérêts concurrents.
Position de le Cour Constitutionnelle
C’est à la lumière de cette approche que la Cour Constitutionnelle a analysé les questions qui lui étaient soumises.
Dans son arrêt n° 102/2024, la Cour Constitutionnelle rappelle tout d’abord que le droit au respect de la vie privée et familiale, consacré par l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la CEDH, inclut le droit à l'identité personnelle et le droit de connaître ses origines. Ce droit, selon la Cour, ne disparaît pas avec l’âge et constitue un aspect fondamental de l’identité d’un individu.
Ensuite, la Cour souligne qu’une intervention de l’autorité publique dans ces droits n’est pas exclue.
Toutefois, une telle ingérence doit être justifiée par un objectif légitime et respecter un équilibre équitable entre les intérêts de l'individu et ceux de la société. Le législateur dispose d'une grande marge d’appréciation dans les cas où des questions morales ou éthiques complexes sont en jeu, ou lorsqu'il s'agit de trouver un compromis entre des droits opposés. Cependant, cette marge se réduit lorsque des aspects fondamentaux de l'existence ou de l'identité d'une personne sont concernés.
La Cour reconnaît que les dispositions soumises à son appréciation poursuivent des objectifs légitimes, notamment celui d'éviter une baisse du nombre de donneurs et de dissiper l'idée fausse selon laquelle les caractéristiques de l'enfant seraient déterminées par les gènes du donneur.
Cependant, la Cour estime que le législateur n'a pas réussi à trouver un équilibre adéquat entre les différents intérêts en jeu. En accordant une priorité absolue aux droits des donneurs, qui ont certes une attente légitime concernant le maintien de leur anonymat, le législateur a porté atteinte aux droits de l'enfant conçu. Ces dispositions empêchent en effet à l'enfant, et de manière absolue, d'accéder à des informations identifiantes ou non identifiantes sur le donneur. De plus, elles ne permettent pas à l'enfant de contacter directement ou indirectement le donneur pour vérifier s'il accepterait de lever son anonymat.
La Cour constate ainsi l’inconstitutionnalité de l’article 458 du Code pénal et de l’article 57 de la loi du 6 juillet 2007.
Toutefois, elle a décidé de maintenir les effets de ces dispositions législatives jusqu'à l'adoption d'une nouvelle législation, avec une date limite fixée au 30 juin 2027. Un tel délai permet ainsi au législateur de réviser la loi afin de concilier le droit de l'enfant à la connaissance de ses origines avec le respect de la vie privée des donneurs.
Dans son arrêt n° 102/2024, la Cour Constitutionnelle rappelle tout d’abord que le droit au respect de la vie privée et familiale, consacré par l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la CEDH, inclut le droit à l'identité personnelle et le droit de connaître ses origines. Ce droit, selon la Cour, ne disparaît pas avec l’âge et constitue un aspect fondamental de l’identité d’un individu.
Ensuite, la Cour souligne qu’une intervention de l’autorité publique dans ces droits n’est pas exclue.
Toutefois, une telle ingérence doit être justifiée par un objectif légitime et respecter un équilibre équitable entre les intérêts de l'individu et ceux de la société. Le législateur dispose d'une grande marge d’appréciation dans les cas où des questions morales ou éthiques complexes sont en jeu, ou lorsqu'il s'agit de trouver un compromis entre des droits opposés. Cependant, cette marge se réduit lorsque des aspects fondamentaux de l'existence ou de l'identité d'une personne sont concernés.
La Cour reconnaît que les dispositions soumises à son appréciation poursuivent des objectifs légitimes, notamment celui d'éviter une baisse du nombre de donneurs et de dissiper l'idée fausse selon laquelle les caractéristiques de l'enfant seraient déterminées par les gènes du donneur.
Cependant, la Cour estime que le législateur n'a pas réussi à trouver un équilibre adéquat entre les différents intérêts en jeu. En accordant une priorité absolue aux droits des donneurs, qui ont certes une attente légitime concernant le maintien de leur anonymat, le législateur a porté atteinte aux droits de l'enfant conçu. Ces dispositions empêchent en effet à l'enfant, et de manière absolue, d'accéder à des informations identifiantes ou non identifiantes sur le donneur. De plus, elles ne permettent pas à l'enfant de contacter directement ou indirectement le donneur pour vérifier s'il accepterait de lever son anonymat.
La Cour constate ainsi l’inconstitutionnalité de l’article 458 du Code pénal et de l’article 57 de la loi du 6 juillet 2007.
Toutefois, elle a décidé de maintenir les effets de ces dispositions législatives jusqu'à l'adoption d'une nouvelle législation, avec une date limite fixée au 30 juin 2027. Un tel délai permet ainsi au législateur de réviser la loi afin de concilier le droit de l'enfant à la connaissance de ses origines avec le respect de la vie privée des donneurs.
Conclusion
L'arrêt n° 102/2024 révèle un changement progressif dans la reconnaissance des droits des enfants nés de dons de gamètes en Belgique. En se fondant notamment sur les évolutions jurisprudentielles de la Cour européenne des droits de l’Homme, et sur une réévaluation des enjeux éthiques, la Cour encourage le législateur à revoir les lois existantes pour mieux protéger les droits fondamentaux des enfants issus de dons de gamètes, tout en respectant les attentes légitimes des donneurs.
Ce débat éthique et législatif devra désormais s’articuler autour de la création d’un cadre législatif plus équilibré entre vie privée des donneurs et le droit des enfants à connaître leur identité biologique.
Ce débat éthique et législatif devra désormais s’articuler autour de la création d’un cadre législatif plus équilibré entre vie privée des donneurs et le droit des enfants à connaître leur identité biologique.
Auteurs
Sacha Hancart
Caroline Joret
Avocate
XIRIUS PUBLIC, Droit de la santé, Droit social de la fonction publique , Finances publiques, Médiation , Droit public de la sécurité sociale, Légistique, Métiers et professions réglementés
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Historique
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