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La théorie de l’imprévision : analyse en droit des marchés publics et en droit privé

Publié le : 25/04/2024 25 avril avr. 04 2024

Imaginez qu’une guerre éclate prochainement entre la France et le Mexique, laquelle entrainerait une hausse de plus de 30 % des prix des matériaux utilisés dans le secteur de la construction.

Auriez-vous pu prévoir la survenance d’un tel événement lors de l’élaboration de votre contrat ? La réponse est selon toute vraisemblance : « non » !

Heureusement, la théorie de l’imprévision permet aux parties de revoir leur contrat, voire d’y mettre fin, lorsque des circonstances imprévues qui bouleversent l’économie générale de ce dernier surviennent.

Alors que cette théorie est consacrée de longue date dans la réglementation relative aux marchés publics, elle n’a que très récemment été consacrée en droit civil belge, lors de l’entrée en vigueur du Livre 5 du nouveau Code civil.
 
  1. Mise en œuvre de la théorie de l’imprévision durant l’exécution d’un marché public

1.
L’article 38/9 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics (ci-après RGE) permet notamment à l’entrepreneur de se prévaloir de circonstances imprévisibles telles qu’une guerre pour pouvoir procéder à la révision des conditions d’exécution du marché.

Certaines conditions doivent néanmoins être respectées.

L’entrepreneur doit, dans un premier temps, sous peine de déchéance, (1) dénoncer les circonstances imprévisibles dont il se prévaut (2) par écrit à l’adjudicateur – que ce dernier ait connaissance des faits ou non – (3) au plus tôt et en tout cas dans un délai de 30 jours à dater de leur survenance ou de la date à laquelle il aurait normalement dû en avoir connaissance[1]. En outre, l’entrepreneur a l’obligation (4) de signaler sommairement l’influence que ces circonstances ont ou peuvent avoir sur le déroulement et le coût du marché[2].

L’entrepreneur doit, dans un second temps, indiquer les motifs qui l’empêchent de poursuivre – le cas échéant normalement – l’exécution du marché. Il supporte donc la charge de la preuve du bouleversement de l’équilibre économique du contrat tel qu’il résulte de l’offre.

C’est seulement s’il a respecté les conditions de recevabilité et de fond précitées que l’entrepreneur peut solliciter la révision du marché consistant :
  • soit en la prolongation des délais d’exécution ;
  • soit, lorsqu’il s’agit d’un préjudice « très important », en une « autre forme de révision », telle qu’une indemnisation ;
  • ou en la résiliation du marché.


2.
Pour les marchés de travaux, constitue un préjudice « très important » au sens de l’article 38/9 des RGE, un préjudice s’élevant au moins à 2,5 % du montant initial du marché.

Si le marché est passé sur la base du seul prix, sur la base du coût ou sur la base du meilleur rapport qualité-prix lorsque le poids du critère relatif aux prix représente au moins 50 % du poids total des critères d’attribution, le seuil du préjudice « très important » est en toute hypothèse atteint à partir des montants suivants[3] :
  • 175.000 EUR pour les marchés dont le montant initial est supérieur à 7.500.000 EUR et ≤ à 15.000.000 EUR ;
  • 225.000 EUR pour les marchés dont le montant initial est supérieur à 15.000.000 EUR et ≤ à 30.000.000 EUR ;
  • 300.000 EUR pour les marchés dont le montant initial est supérieur à 30.000.000 EUR.

3.
L’entrepreneur doit enfin, sous peine de déchéance, transmettre par écrit à l'adjudicateur la justification chiffrée de sa demande dans les délais suivants[4] :
  • avant l'expiration des délais contractuels pour obtenir une prolongation des délais d'exécution ou la résiliation du marché ;
  • au plus tard 90 jours à compter de la date de la notification à l'adjudicataire du procès-verbal de la réception provisoire du marché, pour obtenir une révision du marché autre que sa prolongation ou des dommages et intérêts ;
  • au plus tard 90 jours après l'expiration de la période de garantie, pour obtenir une révision du marché autre que sa prolongation ou des dommages et intérêts, lorsque ladite demande d'application de la clause de réexamen trouve son origine dans des faits ou circonstances survenus pendant la période de garantie.
 
  1. Mise en œuvre de la théorie de l’imprévision durant l’exécution d’un contrat privé

4.
En cas de contrat privé, les conditions à respecter par l’entrepreneur sont moindre.

Ainsi, l’article 5.74 du nouveau Code civil prévoit que le changement de circonstances tel qu’une guerre doit (1) être imprévisible, (2) rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger, (3) être non assumé par l’entrepreneur, (4) être non imputable à ce dernier et (5) ne pas être exclu par le contrat ou la loi.

C’est seulement lorsque ces cinq conditions cumulatives sont rencontrées que l’entrepreneur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin.

* * * *

A la lecture de ce qui précède, il apparait que les conditions prévues par la réglementation relative aux marchés publics sont beaucoup plus précises et par conséquent plus restrictives que celles prévues par le nouveau Code civil.

Se pose dès lors la question de savoir si, dans l’hypothèse où un entrepreneur solliciterait une indemnisation auprès d’un adjudicateur sur pied de l’article 38/9 des RGE mais qu’il apparait de manière certaine que l’une des conditions pour pouvoir l’obtenir n’est pas remplie, celui-ci pourrait fonder sa demande sur l’article 5.74 du Code civil afin de pouvoir renégocier le contrat.

A notre connaissance, la question n’a pas encore été tranchée par les cours et tribunaux. Le débat reste donc ouvert…

 
 
[1] Article 38/14 des RGE.
[2] Article 38/15, alinéa 1er, des RGE.
[3] Article 38/9, § 3, des RGE.
[4] Article 38/16, alinéa 1er, des RGE.
 

Auteurs

Laureen Perrot
Avocate
XIRIUS PUBLIC, Xirius Public, Droit constitutionnel, Droit de la santé, Droit des contrats et marchés publics, Finances publiques
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Alice Troisfontaines

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