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Approche récente du Conseil d’Etat sur la question de la modification d’un critère d’attribution relatif aux produits éco-responsables

Publié le : 12/12/2024 12 décembre déc. 12 2024

 
  1.  
Dans le cadre d’un marché public de fournitures de lubrifiants et produits divers, le cahier spécial des charges prévoit un critère d’attribution visant à évaluer le caractère technique et fonctionnel desdites fournitures. Ce critère d’attribution est divisé en deux sous-critères d’attribution, dont l’un vise à évaluer le nombre de produits éco-responsables.

En ce qui concerne ce sous-critère d’attribution relatif au nombre de produits éco-responsables, le cahier spécial des charges prévoit une méthode d’évaluation (règle de trois) consistant à accorder le maximum de points au soumissionnaire ayant remis le plus grand nombre de produits éco-responsables ; produits devant répondre à plusieurs conditions cumulatives strictement énumérées.
 
  1.  
Lors de l’examen des offres, le pouvoir adjudicateur a cependant constaté qu’aucun des soumissionnaires n’avait proposé des produits répondant à sa définition de produit éco-responsable. Le pouvoir adjudicateur a dès lors décidé d’assouplir son exigence en considérant que les produits répondant à une seule des conditions cumulatives pouvaient être acceptés.
 
  1.  
Après avoir pris connaissance de la décision d’attribution, un soumissionnaire a introduit un recours en annulation devant le Conseil d’Etat et a soulevé un moyen visant notamment à reprocher au pouvoir adjudicateur d’avoir méconnu le critère d’attribution relatif au nombre de produits éco-responsables et, plus particulièrement, de ne pas l’avoir évalué conformément à la définition annoncée dans le cahier spécial des charges.
 
  1.  
Aux termes de son arrêt n° 261.332 du 13 novembre 2024[1], le Conseil d’Etat a notamment rappelé que « les critères d’attribution des marchés publics doivent être clairement déterminés dès le début de la procédure de passation et que les pouvoirs adjudicateurs ont l’obligation de s’en tenir à la même interprétation de ces critères tout au long de la procédure ». Il a dès lors considéré que, dans le cas présent, le pouvoir adjudicateur a irrégulièrement modifié le critère d’attribution relatif au nombre de produits éco-responsables lors de l’analyse des offres puisqu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble des conditions cumulatives annoncées dans le cahier spécial des charges pour permettre de qualifier un produit d’« éco-responsable » .

Le Conseil d’Etat a également considéré que l’affirmation du pouvoir adjudicateur selon laquelle l’application « souple » de ce critère d’attribution se serait faite dans le respect du principe d’égalité n’est pas de nature à remettre en cause son constat.  En effet, selon le Conseil d’Etat, « la simple modification en cours de procédure d’un critère d’attribution est une atteinte aux principes de transparence et d’égalité » puisqu’elle « prive […] les soumissionnaires du droit de préparer leur offre en pleine connaissance de cause, et elle rend possible une manipulation de ce critère aux fins de favoriser l’un ou l’autre soumissionnaire ».

Le Conseil d’Etat a dès lors annulé la décision motivée d’attribution notamment pour les motifs précités.
 
  1.  
La position développée dans l’arrêt du 13 novembre 2024 constitue, pour l’essentiel, le rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle les pouvoirs adjudicateurs doivent s’en tenir à la même interprétation des critères d’attribution tout au long de la procédure[2].

L’arrêt du 13 novembre 2024 semble toutefois franchir une étape supplémentaire en indiquant que « la simple modification » d’un critère d’attribution en cours de procédure constitue une violation des principes d’égalité et de transparence. Autrement dit, même une modification mineure d’un critère d’attribution semble désapprouvée par le Conseil d’Etat.

Cet arrêt est également intéressant puisque le Conseil d’Etat considère, dans le cas d’espèce, qu’il s’agit d’une modification d’un critère d’attribution[3] et non d’une méthode d’évaluation des offres. En effet, si la question avait été examinée par le Conseil d’Etat sous l’angle de la modification de la méthode d’évaluation des offres, son raisonnement aurait pu être différent puisque, par un arrêt n° 229.188 du 18 novembre 2014, il a admis que les principes de transparence et d’égalité « n’empêchent pas que la méthode annoncée soit modifiée s’il s’avère qu’il est impossible de l’appliquer »[4].

L’arrêt du 13 novembre 2024 met, en outre, en exergue le fait que les clauses environnementales peuvent avoir pour effet de complexifier l’évaluation des offres des soumissionnaires et que ces derniers ont parfois des difficultés à s’adapter à ce type de clauses[5] .
 
  1.  
Dès lors, bien que les pouvoirs adjudicateurs s’appuient parfois sur des éléments innovants, tels que le développement durable ou les avancées techniques et technologiques, pour élaborer leurs critères d’attribution, il est conseillé de s’assurer, dans la mesure du possible, que des opérateurs économiques sont effectivement en mesure de répondre adéquatement aux critères prévus. Outre l’ouverture à la concurrence la plus large possible, procéder de cette manière permettra en effet au pouvoir adjudicateur d’éviter le risque de devoir relancer un nouveau marché dans l’hypothèse où aucun soumissionnaire ne respecterait les conditions fixées dans le cadre d’un critère d’attribution.

 
 
[1] C.E., arrêt n° 261.332 du 13 novembre 2024,  SA PROLUB, p.13.
[2] Voy., notamment à ce propos C.E., arrêt n° 228.133 du 29 juillet 2014, BUCCINUM ; C.E., arrêt n° 231.322 du 26 mai 2015, AXI ; C.E., arrêt n° 231.636 du 17 juin 2015, SPRL D.N.A-ARCHITECTE ; T.U.E., arrêt du 21 avril 2021, INTERING, STEINMÜLLER ENGINEERING E.A. C./ COMMISSION EUROPÉENNE, affaire T-525/19.
[3] Compte tenu du fait que le sous-critère d’attribution en question s’intitule « Le nombre de produits  Eco-responsable » et que le cahier spécial des charges prévoit une définition spécifique du produit éco-responsable en lien avec ce sous-critère d’attribution, le Conseil d’Etat a interprété les conditions cumulatives de cette définition comme faisant partie du sous-critère d’attribution en tant que tel.
[4] Traduction libre du néerlandais au français (C.E., arrêt n° 229.188 du 18 novembre 2014, DE MEUTER & CORSTJENS).
[5] En effet, dans le cas d’espèce, la partie requérante prétendait avoir fourni huit fournitures comme étant des produits de type éco-responsable avec des fiches techniques pour chaque produit. Le pouvoir adjudicateur a, en revanche, estimé que les produits fournis par la partie requérante ne répondaient pas aux conditions cumulatives de sa définition de produit éco-responsable.
 

Auteurs

Mickaël Dheur
Avocat
XIRIUS PUBLIC, Xirius Public, Droit constitutionnel, Droit de la santé, Droit des contrats et marchés publics, Finances publiques
(00)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur
Cyrille Dony
Avocat Associé
XIRIUS PUBLIC, Xirius Public, Droit constitutionnel, Droit des contrats et marchés publics
(00)
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